Cabinet Rochat – Avocat

Cristallisation des regles du lotissement pendant 5 ans : une promesse de vente vaut elle « division en propriete » au sens du code de l’urbanisme ?
janvier 7, 2025

Lorsqu’un propriétaire foncier souhaite créer un lotissement sur son fonds, il aura traditionnellement recours à un permis d’aménager ou à une déclaration préalable de division valant création des lots à bâtir.

Cela permettra la création des terrains ou « lots » qui seront ensuite destinés à être commercialisés.

Le recours à l’opération de lotissement est censé présenter une garantie fondamentale pour les vendeurs et acquéreurs : la cristallisation des règles d’urbanisme pendant 5 années à l’intérieur du périmètre du lotissement ainsi créé, au profit des demandes de permis de construire ultérieurement déposées.

C’est ce que rappelle l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme :

« Lorsque le lotissement a fait l’objet d’une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date 

Lorsque le lotissement a fait l’objet d’un permis d’aménager, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d’aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l’achèvement des travaux constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ».

En effet, ce « gel » des règles d’urbanisme est le bienvenu dans un contexte de forte instabilité du droit de l’urbanisme et de lutte contre l’étalement urbain.

Attention toutefois.

Cette cristallisation de 5 ans n’intervient que si l’opération de lotissement a été effectivement mise en œuvre à la date du permis de construire ET dans le délai de validité de l’autorisation de lotissement (déclaration préalable ou permis d’aménager), à savoir, dans un délai de 3 ans à compter de cette décision.

A défaut, la « cristallisation » de 5 ans prévue à l’article L. 442-14 précité ne peut pas être invoquée par le demandeur du permis de construire.

Or, et dans ce cadre, s’est posée la question de savoir à quel moment l’opération de lotissement devait être considérée comme réalisée, provoquant ainsi le gel quinquennal des règles d’urbanisme au profit des permis de construire à venir.

Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat s’est référé à la définition du lotissement contenue à l’article L. 442-1 du code de l’urbanisme :

« 3. Aux termes de l’article L. 442-1 du code de l’urbanisme : « Constitue un lotissement la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis ». Et aux termes de l’article L. 442-14 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : « Le permis de construire ne peut être refusé ou assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant: / 1° la date de non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l’objet d’une déclaration préalable (…) ».

Il en déduit qu’en l’absence de cession dont aurait résulté la division en lotissement, le demandeur du permis de construire ne pouvait se prévaloir d’un maintien des règles du lotissement pendant 5 ans.

En l’occurrence, le propriétaire du lot à bâtir avait entendu conserver la propriété de ce lot en vue d’une location saisonnière :

« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société La Garriguette a adressé au maire de Bormes-les-Mimosas une déclaration préalable de division de la parcelle cadastrée section AD n° 133 en deux lots, en vue de construire sur l’un d’eux, l’autre supportant une villa. Par un arrêté du 28 avril 2015, le maire de cette commune ne s’est pas opposé à cette déclaration préalable. Toutefois, ainsi que l’a relevé la cour, la société La Garriguette, qui entendait conserver la propriété de l’ensemble de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait le permis litigieux pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée, n’avait, à la date du permis de construire, pas procédé à la cession dont aurait résulté la division. Dès lors, en l’absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, elle ne pouvait se prévaloir, à l’occasion de cette demande de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme cité ci-dessus, au lotissement autorisé, dont le projet de construction ne pouvait relever. Par suite, en jugeant que la règle posée à l’article L. 442-14 s’appliquait à l’arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d’urbanisme approuvé le 28 mars 2011 et non de celles du plan approuvé le 17 décembre 2015, la cour a commis une erreur de droit ».

Voir la décision : Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 13/06/2022, n°452457

Autrement dit, pas de cristallisation des règles d’urbanisme sans transfert de propriété ou de jouissance à l’intérieur du lotissement.

Une forte incertitude juridique en a résulté pour savoir si, en pratique, une promesse de vente pouvait suffire à emporter cette « division en propriété » au sens de l’article L. 442-1 code de l’urbanisme, et par voie de conséquence, l’effet « cristallisateur » attendu en vue du dépôt du permis de construire.

NB : il est très fréquent que les promesses de vente soient conclues avec une condition suspensive d’obtention du permis de construire, conditionnant la réitération de l’acte de vente à l’obtention dudit permis.

Une réponse ministérielle du 7 mars 2023 semblait alors considérer que des démarches actives pour diviser, comme la conclusion d’un compromis de vente, pouvait permettre aux pétitionnaires de se prévaloir des dispositions de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme relatives à la cristallisation :

« Dans son arrêt du 13 juin 2022 n° 452457, le Conseil d’Etat se borne à rappeler qu’une opération n’est pas qualifiée de lotissement en l’absence de division effective. Sous réserve de l’interprétation souveraine des juridictions qui pourraient être saisies de cette question, il pourrait effectivement être soutenu que l’autorité administrative ne peut présumer de l’intention prochaine du pétitionnaire de « consommer » son autorisation de lotir pour apprécier la demande de permis de construire qui lui est adressée à l’aune des règles applicables aux lotissements, dès lors qu’elle ne s’est pas déjà manifestée par une vente effective. Néanmoins, rien n’indique que la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt susmentionné, appliquée dans le cas d’un propriétaire souhaitant ouvertement conserver la propriété de l’intégralité de la parcelle, doit nécessairement s’appliquer au cas où le propriétaire aurait engagé des démarches actives pour diviser (telle que la signature d’un compromis de vente) ».

Dans un arrêt du 30 avril 2024 (n°22LY02695 – classée C+), la Cour administrative d’appel de LYON, adopte une position différente.

Dans le cas d’espèce, elle considère qu’aucune division en propriété n’est valablement intervenue, et ce, pour plusieurs raisons.

Elle retient notamment que le compromis de vente produit au dossier se bornait à préciser que :

« (…) l’acquéreur sera propriétaire du bien à compter du jour de la réalisation de la vente par acte authentique. Il en aura la jouissance par la prise de possession réelle et effective à compter du même jour, le bien étant vendu libre de toute location, habitation ou occupation et encombrements quelconques ».

La promesse était donc insuffisante pour emporter, à elle seule, un transfert effectif de propriété.

Par ailleurs, la Cour cite l’article 1589 du code civil qui prévoit que :

« La promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. / Si cette promesse s’applique à des terrains déjà lotis ou à lotir, son acceptation et la convention qui en résultera s’établiront par le paiement d’un acompte sur le prix, quel que soit le nom donné à cet acompte, et par la prise de possession du terrain. / La date de la convention, même régularisée ultérieurement, sera celle du versement du premier acompte ».

Elle constate, qu’en l’espèce, aucun acompte n’avait été versé par l’acquéreur à la date de délivrance du permis de construire en litige.

Elle en déduit une absence de tout transfert de propriété ou de jouissance à la date du permis de construire initial.

Dans ce contexte, la Cour considère que le demandeur du permis de construire ne pouvait pas bénéficier de la cristallisation des règles d’urbanisme des lotissements prévue par l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme.

***

Ainsi, et selon le raisonnement de la Cour, il apparait qu’une promesse de vente ne peut pas constituer une « division en propriété », au sens de l’article L. 442-1 du code de l’urbanisme :

  • Si cet acte comporte des mentions reportant le transfert de propriété à une date ultérieure, notamment celle de la signature de l’acte authentique et définitif de vente.

Or, il y a lieu de souligner que la plupart des compromis ou promesse de vente signés devant Notaire comportent cette même mention.

Et/ou

  • Si aucun acompte sur le prix de vente n’a été versé par l’acquéreur, comme le prévoit l’article 1589 du code civil.

En conclusion : pas de cristallisation des règles d’urbanisme si, à la date du permis de construire, aucun transfert effectif de propriété (ou de jouissance) n’est intervenu au sein du lotissement.

CAA de LYON, 1ère chambre, 30/04/2024, n°22LY02695 :

« 8. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles dont la société Serenis a sollicité la division, et pour lesquelles elle a présenté une demande de permis de construire sur le lot A, n’avaient pas fait l’objet d’une division en propriété ou en jouissance à la date du permis de construire en litige du 3 mars 2021, ce qui est d’ailleurs également relevé dans le dossier de demande de permis de construire qui précise  » qu’aucune division en propriété ou en jouissance ne sera mise en place avant l’achèvement des constructions « . Si la société Serenis soutient que le lot B, qui a été vendu le 22 novembre 2021, a fait l’objet, dès le 10 octobre 2019, d’un compromis de vente auprès d’acquéreurs tiers, le compromis produit au dossier se borne à préciser que  » l’acquéreur sera propriétaire du bien à compter du jour de la réalisation de la vente par acte authentique. Il en aura la jouissance par la prise de possession réelle et effective à compter du même jour, le bien étant vendu libre de toute location, habitation ou occupation et encombrements quelconques. « . Par ailleurs, selon l’article 1589 du code civil :  » La promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. / Si cette promesse s’applique à des terrains déjà lotis ou à lotir, son acceptation et la convention qui en résultera s’établiront par le paiement d’un acompte sur le prix, quel que soit le nom donné à cet acompte, et par la prise de possession du terrain. / La date de la convention, même régularisée ultérieurement, sera celle du versement du premier acompte. « . En l’espèce, il n’est pas contesté, en tout état de cause, qu’aucun acompte n’avait été versé à la date de délivrance du permis de construire en litige. Par suite, en l’absence de tout transfert de propriété ou de jouissance à la date du permis de construire initial, et alors que cette absence ne peut avoir été régularisée par la délivrance ultérieure de permis de construire modificatifs, la société Serenis ne pouvait bénéficier des droits attachés, en vertu de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme, au lotissement autorisé, dont le projet de construction ne pouvait relever ».

Cet arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat (pourvois n° 495590 et n° 495524), cette position pourrait être amenée à évoluer.

Affaire à suivre.

Dans l’attente, les vendeurs et acquéreurs devront être particulièrement vigilants sur l’évolution des documents d’urbanisme et le calendrier de mise en œuvre de leurs opérations de lotissement.

Notez qu’un arrêt récent du Conseil d’Etat du 18 octobre 2024, est venu préciser qu’une division d’un fonds en « lotissement » est réalisée par le transfert en propriété ou en jouissance d’une partie au moins des lots dans le délai de validité de 3 ans de l’autorisation de lotissement.

Autrement dit, la vente de l’un des lots du lotissement dans le délai de validité de la DP ou du PA, déclenche l’effet cristallisateur de 5 ans au profit de tous les autres lots à bâtir du lotissement.

Voir en ce sens : Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 18/10/2024, n°473828

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Face à cette complexité juridique, le cabinet accompagne les collectivités, les entreprises et les particuliers pour la bonne mise en œuvre de leurs projets.

Poste rédigé par Maître Élodie Rochat. Votre avocat spécialiste du droit public, du droit de l’urbanisme et connexe à Grenoble.

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